Souvenirs à l'Appel
Isabelle Grattard Libération 2018 (FR) link ⤷
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Long distance call (2018) Libération ©Prune Phi
« Séance tenante / Aventure – Mêlant photos, dessins, collages, coupures de journaux et vidéos, la série « Long Distance Call » de l'artiste d'origine vietnamienne Prune Phi se penche sur la question de l'exil et les soubresauts mystérieux de la mémoire.
Tout juste diplômée de l'Ecole nationale de la photographie d'Arles, Prune Phi, avec son projet Long Distance Call entamé en 2016, installe in situ des récits hybrides dans lesquels elle interroge à travers son histoire intime les mécanismes de transmission des valeurs et des traditions culturelles au sein des familles et des communautés. Tout en questionnant l'histoire collective d'une génération frappée par les difficultés de l'exil, Prune Phi cherche à reconstituer une mémoire sur ses origines, et plus largement documenter la part invisible des effets du souvenir dans le choc de l'exil confronté au choc des cultures. Prune Phi est partie à la rencontre de sa famille vietnamienne, immigrée en Californie, qui transporte dans ses récits la mémoire d'un vécu difficile à préserver, des paroles parfois renforcées par les artifices de l'american way of life et la culture pop.
Dans son dispositif artistique, Prune Phi fragmente dessins, collages, documents collectés dans les magazines vietnamiens ou les journaux américains, mais aussi des photographies personnelles, témoignages, textes et vidéos. Elle recompose et agrège des items dans une scénographie en perpétuel mouvement déstructurant les codes culturels pour réinventer une mémoire commune. Ses compositions reflètent un effacement de sa propre histoire au profit d'un récit commun, fruit du croisement des expériences individuelles. Son but, réinventer les soubresauts mystérieux du souvenir.
L'approche de Prune Phi révèle aussi un aspect scientifique dans la recherche en amont. Elle s'est entretenue avec un neurobiologiste, Pascal Roullet, spécialiste du stress post-traumatique et du « faux souvenir ». Utilisant des extraits modifiés de cet entretien, l'artiste photographe réinvente la narration, se réappropriant les expériences de sa communauté.
Exemple : « On est souvent persuadé que nos souvenirs sont conformes à la réalité. Les informations stockées dans nos cerveaux peuvent être exagérées, déformées, transformées. Pire, certaines sont créées de toutes pièces. C'est ce que l'on appelle les faux souvenirs. Des souvenirs que l'on pense sincèrement vrais. Ils dérivent de l'incorporation d'éléments imaginés dans de vrais souvenirs mis en danger lors de leur con-solidation.En se rappelant, le réseau neuronal redevient malléable, et le souvenir fragilisé, modifiable. Ils ne sont pourtant pas des mensonges. »
“Séance tenante / Aventure — Blending photos, drawings, collages, newspaper clippings and videos, the series Long Distance Call by Vietnamese-origin artist Prune Phi delves into exile and the mysterious jolts of memory.”
Freshly graduated from the École nationale supérieure de la photographie in Arles, Prune Phi launched her project Long Distance Call in 2016, building hybrid in situ narratives in which she uses her own intimate story to question how values and cultural traditions are passed down within families and communities. While addressing the collective history of a generation shaped by the hardships of exile, Prune Phi also attempts to piece together a memory of her roots—and more broadly, to document the unseen effects of memory in the clash between exile and cultural collision. She went to meet her Vietnamese family, who had immigrated to California, and whose stories carry the weight of experiences difficult to preserve—narratives sometimes amplified by the tropes of the American way of life and pop culture.
In her artistic framework, Prune Phi fragments drawings, collages, documents gathered from Vietnamese magazines or American newspapers, along with personal photographs, testimonies, texts, and videos. She reassembles and aggregates these items into a scenography in constant motion, deconstructing cultural codes to reinvent a shared memory. Her compositions reflect a fading of her own personal story in favor of a collective narrative born from the weaving of individual experiences. Her aim: to reinvent the mysterious jolts of remembrance.
Prune Phi’s approach also reveals a scientific dimension in the research phase of her work. She spoke with neurobiologist Pascal Roullet, a specialist in post-traumatic stress and “false memory.” Using altered excerpts from this interview, the artist reimagines narration, reclaiming the experiences of her community.
Example: “We’re often convinced that our memories match reality. But the information stored in our brains can be exaggerated, distorted, transformed. Worse, some are entirely made up. These are what we call false memories—memories we sincerely believe are true. They emerge when imagined elements are incorporated into real memories under threat during the process of reconsolidation. When we recall something, the neural network becomes malleable again, and the memory becomes fragile, changeable. And yet, they’re not lies.”