PRUNE PHI

✦          PAST    Musée du Jeu de Paume, Paris (FR)            ✦          PAST    Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône (FR)            ✦          PAST    Hessel Museum of Contemporary Arts, Annandale-on-Hudson (USA)            ✦          PAST    Workshop at L’École media art du Grand Chalon (e|m|a), Chalon-sur-Saône (FR)            ✦          PAST    Musée du Jeu de Paume, Paris (FR)            ✦          PAST    Musée Nicéphore Niépce, Chalon-sur-Saône (FR)            ✦          PAST    Hessel Museum of Contemporary Arts, Annandale-on-Hudson (USA)            ✦          PAST    Workshop at L’École media art du Grand Chalon (e|m|a), Chalon-sur-Saône (FR)           

⤶ TEXTS

Le trajet des cactus

Prune Phi, Samir Laghouati-Rashwan
Ce texte est une retranscription d’une discussion entre Prune Phi, plasticienne française d’origine vietnamienne et Samir Laghouati-Rashwan, plasticien français d’origine marocaine égyptienne. Il et elle abordent le rôle des détails dans la construction de leurs identités respectives et la place de ceux-ci dans leur travail.
Regards croisés sur les mobilités et l'altérité (Recherches et actions), Éditions PUP / Sociétés
2022 (FR)
©Samir Laghouati-Rashwan, Prune Phi

©Samir Laghouati-Rashwan, Prune Phi

« Cela fait quelques années que nous nous sommes rencontrés sur Instagram. Nous suivions avec intérêt nos pratiques artistiques de loin, à travers nos écrans de téléphone. En 2020, nous nous retrouverons par hasard en résidence à la Friche Belle de Mai où nous avons partagé un espace le temps de quelques mois. Nous discutons surtout d’images empruntées, de l’organisation de nos sociétés ou encore du rôle de la nourriture dans la compréhension de nos origines. Dans ce texte sur nos exils et nos migrations, nous avons reproduit ce que nous savions faire : boire un thé et discuter. Mais cette fois-ci nous avons enregistré.

COLLECTION D’IMAGES

Comment chacun rassemble des images qui composeront nos recherches. Quel est le rôle des images déjà là, des images trouvées dans la construction de nos imaginaires et comment se réapproprier nos cultures ? À quel moment on va devoir produire des images manquantes ?

Samir Laghouati-Rashwan (SLR) Dans mon espace intime, je collectionne beaucoup d’images. Des photos de famille, la mienne et celles d’autres que je trouve. Il y a aussi des images de colons, de soldats français au Maroc ou plus largement en Afrique.

Prune Phi (PP) C’est comme si tu gardais un œil sur tes ennemis ...

SLR C’est ça, ne pas les oublier, vivre avec ces histoires que ce soit à travers des images personnelles ou appartenant à d’autres. En étant aux Beaux-Arts, c’était important d’avoir tous ces éléments autour de moi car ce sont des études très élitistes et bourgeoises où le rapport au monde, à l’histoire est un peu superficiel. Tu arrives là bas, tu n’as aucun point d’attache, tu ne connais ni les gens, ni les espaces, encore moins les codes, ce qui rend difficile d’y rester longtemps sans comprendre cet univers sans le brosser dans le sens du poil. Les seules images de l’Égypte sont des images trouvées en déchetterie, d’une famille française en vacances en Égypte. On ne voit pas trop qui ils sont, de quelle classe sociale ils sont, on voit juste une femme qui revient souvent, tantôt sur un chameau, tantôt contre un pilier, tantôt à cote d’une pyramide. J’ai aussi des photos de personnes en vacances en Grèce, des photos de bébés bandés trouvés aussi dans des déchèteries. Ça me permet de voir plein de choses en étant immobile. Je vois l’Égypte, mon pays, à travers une famille que je ne connais pas. Je ne sais pas ce que ça représente mais c’est spécial d’être privé d’une partie de soi. Moi, je rassemble des images qui créent une grande image. Toi, tu crées tes images.

PP Oui, je collectionne des images. Certaines que j’ai prises, et certaines non. Les premières images que j’ai du Vietnam sont celles présentes dans le restaurant de mon grand-père à Carcassonne. A l’intérieur, il y a des laques avec des paysages. Il y a des motifs sur les chaises et des bambous peints dans les assiettes. Il y a aussi quelques pochettes d’album de chanteurs et chanteuses vietnamiennes sur une étagère au fond de la salle principale. Je crois que je n’ai pas eu accès à tant d’images du Vietnam que ça. Mon grand-père adorait raconter des histoires de fantômes dont il avait peur petit. Il était persuadé que lorsqu’il allait à l’école à pied, il pouvait entendre les fantômes dans les bambous bordant la route et ça le terrifiait. Ce sont alors des images mentales, des images que je m’invente qui constituent mes premières rencontres avec le Vietnam. Cela a sûrement influencé ma pratique plastique liée à l’image. Le fait de questionner les représentations qui manquent viennent peut-être de là. J’ai été dans l’obligation de reconstruire un imaginaire en produisant mes propres visuels, en les empruntant sur internet ou dans des magazines.

TRAJET, RETOUR ET DÉCENTREMENT

Pourquoi retourner dans le pays de nos ancêtres et y chercher une place? Il nous semble nécessaire de questionner les rapports de pouvoir qu’implique notre présence dans ces pays au passé colonial. Est-ce que cela a du sens d’y rester, d’y travailler ou est-ce qu’il faut rentrer ? Le pouvoir des pays occidentaux encore perçus comme des modèles d’enseignement et la question du retour dans leurs pays respectifs des étudiantes et étudiants étrangers font aussi partie de ces dynamiques liées aux descendants de ces diasporas.

PP Tu es déjà allé en Egypte ?

SLR J’y suis allé trois fois mais c’était bizarre. J’ai peu de rapports avec mon père. Habituellement je reste à Beni Suef là où mon père a sa maison, j’ai pris une seule fois un bus pour le Caire. C’est une ville très peuplée, sans logique urbanistique du fait du besoin de logement pressant. En réalité, je connais très peu l’Égypte. Je me rappelle quand j’étais petit, j’avais acheté une compile de photos, je les ai dans ma chambre, ce sont des photos d’explorateurs anglais découvrant des vestiges, on y voit des travailleurs égyptiens menés par des monsieurs anglais aux chapeaux de colons. Je connais beaucoup plus le Maroc, ou plutôt j’ai l’impression. Il y a le chemin pour aller au Maroc qui était la plus grosse partie du voyage quand on y allait en voiture. Une fois qu’on arrivait au Maroc on restait dans la même ville, on ne voyageait pas. A part pour le mariage d’une tante à Casablanca.

PP Tu as vu le Maroc à travers une voiture ?

SLR Oui.

PP Dans ce que tu dis des images récupérées, je ressens l’omniprésence de la personne blanche : la famille, les colons, les soldats. C’est intéressant que tu les mettes en évidence pour ne pas oublier.

SLR Comme j’essaie encore de comprendre tout ça, j’aime bien les avoir autour, former avec une sorte d’organigramme qui tisse des liens entre des histoires. Ces histoires font office de mémoire, une mémoire composée de photographies de famille, de photos de soldats dans les différentes colonies françaises, des images tirées de livres historiques, de magazines.

PP C’est comme si tu analysais les acteurs, que l’image était un moyen de connaissance qui apporte des données sur l’histoire, même si ce sont des images vernaculaires tirées d’album de famille sans vocation informative ou artistique. Je pense notamment aux images de vacances. SLR Oui, c’est ça créer un itinéraire des activités des gens qui se rendent en Egypte et au Maroc dans mon cas.

SLR Oui, c’est ça créer un itinéraire des activités des gens qui se rendent en Egypte et au Maroc dans mon cas.

PP Oui, ça parle forcément du trajet, du déplacement, de qui va où. C’est à propos des migrations.

SLR Cela me fait penser à une manière d’entretenir ma propre mémoire, j’ai toujours collecté les images et selon les âges, elles n’ont pas le même statut ni les mêmes préoccupations.

PP Cela me fait aussi penser au retour dans un pays où nous ne sommes pas nés. Qu’est-ce qui nous pousse à y aller ? Je me pose toujours la question de la légitimité de ce « retour », de parler de ces sujets car cela remonte à loin pour moi. Mon identité vietnamienne vient de mon grand-père paternel. Et en même temps, si on ne s’intéresse pas à nos propres histoires, même si elles sont anciennes, il y aura des pans de l’histoire qui s’effaceront. Les vietnamiens qui ont directement vécu le trauma sont très silencieux sur leurs histoires, ce qui est compréhensible. Il y a néanmoins un paradoxe car la guerre d’Indochine, puis du Vietnam, ont été parmi celles les plus visuellement documentées de l’Histoire. Les représentations ne manquent pas. Et pourtant, les silences au sein des familles sont très courants. La majorité des jeunes descendants ne sont porteurs que de fragments de leur histoire familiale. S’ils cherchent à comprendre l’histoire de leurs ascendants, cela se fait par d’autre biais. Ils s’investissent, par exemple, dans des associations d’étudiants vietnamiens pour reconstruire à leur manière ce qu’il leur manque : représentation d’histoires théâtralisées lors du Têt (nouvel an lunaire), réinterprétation de traditions telles que la danse des éventails, etc. J’ai rencontré des jeunes étudiants à différentes reprises pendant la réalisation de mes projets. Je pense à une rencontre en particulier au Vietnam, avec une femme qui a fait ses études à l’étranger et dont le père a soutenu la libération du Vietnam en 1975. Aujourd’hui, il dit à sa fille qu’il imagine une version alternative de l’histoire, si les américains étaient restés. Le pays serait autrement, peut-être mieux que ce qu’il est aujourd’hui. Peut-être qu’ils auraient plus de libertés. En fait, je pense qu’il y a beaucoup de personnes critiques vis-à-vis de ce qui se joue socialement, politiquement au Vietnam. C’est un pays qui calque son modèle économique et social sur la Chine. Il est à la fois en voix d’ultra-modernisation et d’ouverture vers l’extérieur dans ses échanges économiques tout en étant politiquement complexe quant à son héritage communiste. Cette femme qui est revenue au Vietnam après ses études en Australie se sent en quelques sorte redevable. Même si le pays est difficile, si cette génération part ailleurs, alors qui reste-il ? Qui va faire le travail ? D’autres étudiants qui sont partis en Angleterre disent la même chose.

SLR C’est ce qu’il se passe aussi avec beaucoup d’africains qui ont fait leurs études en Europe, qui sont nés en Afrique et qui y retournent en se disant qu’il y a beaucoup à faire sur le continent africain, c’est un moyen de décentraliser l’Europe.

PP Je trouve qu’il y a aussi une volonté de notre génération à ne pas se limiter à l’Europe pour créer, pour penser. L’Europe, ce n’est plus le centre du monde. Il y a des décentrements, des choses qui se créent et des propositions possibles ailleurs. Le retour, c’est un moyen de se ré-emparer de nos histoires, de se dire qu’on peut le faire ailleurs que dans les pays des diasporas. Et en même temps, pour ma part, je trouve cela difficile d’aller au Vietnam et de traiter de certains sujets. Je me dis, pourquoi moi ? D’autres pourraient très bien être plus légitimes. J’essaie de voir les choses de manière différente, je n’ai pas grandi là-bas mais j’ai quand même reçu une part de l’histoire. J’emporte avec et malgré moi, par mon corps et par mes souvenirs, un fragment du Vietnam.

SLR Oui, tu n’as pas la même vie, ni même exactement la même culture mais ton corps porte l’empreinte de celles et ceux qui ont grandi là bas, ne serait-ce que le regard qu’on a pu porter sur toi, ta communauté en France et là-bas sur les vietnamiens, parce qu’on dit que le regard colonial n’est pas mort avec les indépendances.

DANS LES VALISES

Ce que les gens emportent avec eux quand ils partent vers l’Europe : les objets de l’exil. Ce que l’on ramène lors du retour au pays : matières premières.

PP Le corps est forcément porteur des marques de celles et ceux qui ont été là avant toi. Tu emportes tout cela malgré toi : la couleur de la peau, les yeux bridés, la texture des cheveux, la dentition, la forme des oreilles. Une fois, je suis allée dans un centre de recherche dermatologique qui cherchait des participants pour une étude de nouveaux produits. La dermatologue a regardé mon bras et a déterminé que j’étais classé dans le panel « métissé » juste par la teinte de ma peau et ma pilosité. Je crois que c’est la première fois qu’on déterminait scientifiquement que j’avais des ascendances asiatiques car cela ne se voit pas forcément sur mon visage. Finalement, on est la somme de ces petits détails que l’on garde mais aussi que l’on perd au fil des métissages. Ça me fait aussi penser à une image de valise : ce qu’on laisse derrière soi, ce qu’on choisit de prendre avec nous.

SLR Oui, pour la diaspora maghrébine j’ai l’impression que le tapis est hyper présent, avec ses motifs représentant des bassins, des jardins pour se rappeler des architectures du Maghreb.

PP Avec le Vietnam, j’ai plutôt l’image de la boîte. Les gens mettent leurs affaires dans les cartons et les envoient en soute lors de leurs déplacements en avion entre l’Europe et l’Asie. Les œuvres sonores que j’ai produites avec Tal Yaron et qui font partie de mon projet « Otherworld Communication » font écho à cela. Elles sont fabriquées à partir de cartons collectés dans des supermarchés asiatiques en France de produits importés. C’est un moyen de considérer l’histoire des deuxièmes et troisièmes générations d’immigrés à travers la nourriture préparée par leurs ancêtres. C’est aussi une façon d’interroger l’appropriation culturelle liée à ces denrées en transit et utilisées à travers l’Europe. Tu ne peux jamais retrouver le goût original mais il est possible de s’en approcher avec ce qu’on peut trouver dans des boutiques spécialisées. Parfois, il faut remplacer un ingrédient ou deux pour finaliser la recette. Dans les restaurants asiatiques ici, les recettes sont très souvent adaptées au goût occidental. Certaines recettes ne sont pas du tout proposées car elles ne seraient pas appréciées par les palais européens. Je pense aux pattes de poulets bouillies, ou tout autre plats préparés à partir des cartilages qui sont très populaires au Vietnam. Pour en revenir à ces pièces sonores fabriquées avec les emballages en carton de ces produits alimentaires, ce qui m’intéresse c’est d’en modifier la forme tout en conservant les mentions de transit. Les boîtes sont estampillées par les pays par lesquels elles ont voyagé, comme des valises en fait. Elles sont déconstruites par Tal et moi, puis assemblées entre elles pour devenir des méta-formes ambiguës et hybrides. Cela évoque l’histoire des colonisations d’une certaine manière.

SLR Au Maroc, il y a pareil avec les cartons mais ils sont envoyés en camion. Tu paies au kilo et le transporteur te ramène tout chez toi, c’est souvent quelqu’un du quartier à qui on fait confiance. Du coup, ils amènent tout et n’importe quoi : bouffe, tissus, sucre, électronique. Ce qui reste dans nos valises au retour en France c’est les tissus et des huiles (Olive, Argan).

PP Le déplacement va dans les deux sens.

SLR Oui. Je pense que c’est aussi une façon responsable de ta part de considérer cette histoire. Les vietnamiens et vietnamiennes qui sont nés là bas et qui y vivent c’est leur histoire propre bien que tout le monde n’ait pas vécu la guerre par exemple. C’est peut être juste toi, parce que ça fait partie intégrante de ta personne, de prendre ton histoire à deux mains et de l’affronter. Comme tu dis, il me manque des histoires alors je vais collecter des images pour combler les vides et toi tu vas là-bas et à partir de petites histoires tu vas former tes propres images. Tu prends beaucoup de photos ?

PP Je collecte beaucoup, autant dans les images tirées d’archives ou de culture populaire que dans la manière de faire des images. Je me sers de peu de choses au final et je passe toujours par une étape de transformation de ces images. Je ne suis jamais satisfaite d’une photographie en tant que telle. Un fragment a pu attirer mon attention, l’image va être alors imprimée, déchirée, assemblée avec d’autres images. Je pense que tout cela fait partie de cette déconstruction/reconstruction de ces petits morceaux d’histoire qui me sont donnés avec parcimonie et qui, une fois mis bout à bout, vont reconstruire autre chose, ma propre version de l’histoire.

SLR Ce ne sont que des bribes. C’est peut-être une façon humble de partager ce travail une fois en France : les images que tu as prises dans un autre pays. Tu donnes quelque chose de l’essence mais pas l’entièreté car dans tous les cas cela serait impossible. Quand tu te poses la question de légitimité, c’est juste et les bribes c’est ta manière de donner à voir cette histoire en France sur tes origines sans proposer des images documentaires qui nous donneraient le sentiment de connaître la culture en question parce qu’on à vu une exposition de ton travail.

PP Quand tu dis que j’ai grandi avec cette culture, c’est passé par le fait que mon grand-père avait un restaurant vietnamien dans lequel j’ai aussi grandi. Je me souviens de tellement de choses malgré le fait que j’étais vraiment petite quand le restaurant a fermé : des couleurs, des odeurs, la musique, les gens qui travaillaient en cuisine. Je me vois courir dans le restaurant, mettre mes bras entiers dans le sac de riz, faire des nems avec mon grand-père. Je me souviens qu’il essayait de m’apprendre des mots en vietnamien en même temps, avec ma grand-mère aussi. Nos identités passent aussi par la nourriture.

RÔLE DES GENRES ET TRANSMISSION

Qui gère la cuisine selon les cultures ? Pour Samir, le rôle de sa grand-mère dans le partage de ses connaissances culinaires, et la place des femmes dans son éducation. Pour Prune, le rôle de son grand-père et de son restaurant dans la construction de son identité vietnamienne. Les hiérarchies à table.

SLR La mémoire par la bouffe, je travaille actuellement sur « Decolonial Food » un projet culinaire où je partage mes recherches sur l’itinéraire des aliments et l’évolution de certaines recettes lors de dîners. C’est du côté des femmes que j’ai découvert la cuisine, très jeune j’accompagnais ma grand-mère dans l’élaboration de plats marocains. J’ai beaucoup plus ressenti mes origines avec mes tantes, avec les femmes de ma famille plutôt qu’avec les hommes. Les femmes elles dansent, elles ont une identité propre alors qu’avec les hommes il y a quelque chose de plus global, ils ont tous les mêmes hobbies, les bagnoles, le foot, la prochaine voiture qu’ils vont s’acheter.

PP Alors que pour moi, la cuisine a toujours été une affaire d’hommes dans ma famille, aussi bien du côté maternel que paternel.

SLR Et au Vietnam, comment c’est dans les familles ?

PP Je peux juste parler de ce que je connais par rapport à ma famille vietnamienne aux États-Unis que j’ai rencontré dans le cadre du projet « Long Distance Call » mené en 2017. Une partie de cette famille est très patriarcale, surtout chez les plus anciens. Par exemple, la dernière des femmes arrivée dans la famille est celle qui cuisine pour tout le monde et va tout nettoyer ensuite. Il a fallu que je contacte le frère le plus âgé de la famille pour préparer ma visite. A table, il fallait attendre que l’homme le plus âgé mange en premier. Je me suis rendu compte que je n’avais pas rencontré toutes mes tantes alors que je pouvais donner le prénom de tous les hommes et les identifier.

SLR C’est pareil au Maroc, tu peux identifier tous les hommes d’une famille.

PP J’ai beaucoup plus partagé avec les hommes de la famille, peut-être justement parce que les hommes ont une présence plus importante. Pour notre génération, ce n’est plus pareil par contre.

SLR Chez moi, c’est ma grand-mère qui cuisinait tout et mangeait après tout le monde. Mais c’était la patronne. Il y a peut-être le fait qu’elle soit la plus ancienne, qu’elle fasse tout passer avant sa propre personne.

L’ODEUR DE NOS ASSIETTES

Questionner la mémoire par la nourriture et ses odeurs, entretenir le souvenir. La cuisine comme un espace de mémoire et de transmission. Odeur et mémoire génétique. Odeur et adaptation culturelle.

SLR Nous, ce qu’on nous donne à voir ce n’est pas forcément l’histoire de manière directe, et justement c’est pour ça que tu vas questionner la bouffe pour aborder des sujets plus importants. Au final, on connaît ces pays plus sous ce spectre, moi avec ma grand-mère qui faisait beaucoup de plats, j’ai connu le Maroc à travers les plats avant de connaître le Maroc, si je peux dire que je le connais. Et c’est aussi des histoires d’odeurs. Je crois que je t’avais raconté, quand ma grand-mère est morte, j’avais fait un repas avec un pote cuisinier, qui s’est mis à couper une herbe dont j’ai oublié le nom. Il m’invite un soir à manger chez lui, je rentre dans la cuisine, il coupe une herbe et vraiment ça m’a fait pleurer, ça m’a vraiment rappelé ma grand-mère qui coupe cette herbe. Ça ne m’a pas rappelé un souvenir français, ça m’a rappelé vraiment un souvenir chez ma grand-mère dans son cœur, dans son exil à elle. C’est là que je me suis dis que la cuisine c’est super important. Et a contrario, j’ai fait un blocage où je ne mangeais plus du tout de plats marocains parce que personne n’était capable de faire celui que je connaissais. Je me suis donc mis à cuisiner moi-même pour arriver à ça.

PP Tu y es arrivé ?

SLR Non ou plutôt pas sur tous les plats.

PP Mon plat préféré préparé par mon grand-père était le porc au caramel et bien sûr quand il est parti, ce goût s’est perdu. Je commande souvent ce plat quand je vais au restaurant parce que je me dis qu’un jour, je vais goûter le même. Et puis un jour, un ami vient de voir sa mère qui lui a montré la recette. Il veut m’en faire même si je ne suis pas convaincue et figure-toi qu’il avait le même goût que celui de mon grand-père, c’était fou.

SLR Ça réveille plein de souvenirs.

PP Ça te fait revivre quelque chose. Les sens, de l’odeur, du goût, te font revenir dans un lieu, dans un moment, même au-delà. Comme quand tu parles de revoir ta grand-mère et de manger ses plats, ça va encore plus loin, comme si on ingérait un peu de leur histoire. Ce porc au caramel, peut-être que mon grand-mère l’a mis au menu du restaurant parce que quand il était petit, il en mangeait au Vietnam. Quand j’ai travaillé avec les neuroscientifiques pour le projet « Appel Manqué », on parlait notamment d’odeur qui pouvait se transmettre au cours des générations. Par exemple, si tu n’aimes pas l’aubergine, c’est potentiellement qu’une personne de ta famille qui était là avant toi n’aimait pas ça, ou avait eu une mauvaise expérience avec son goût. Elle était tombée malade par exemple et ça l’a tellement affecté que ça s’est transmis par les gènes au cours des générations. L’odeur est d’autant plus essentielle dans nos recherches, si elles renvoient à des expériences vécues par nos ancêtres et dont on fait l’expérience par des odeurs rencontrées, comme l’odeur de l’herbe qui te renvoie à ta grand-mère. L’émotion que tu as ressentie était l’émotion liée à ton expérience vécue avec ta grand-mère mais aussi à des choses non vécues par toi. Peut-être qu’à travers cette odeur, ce sont les expériences vécues par ta grand-mère que tu perçois, ce que ta grand-mère a ressenti quand elle a mangé cette herbe à un moment dans sa vie.

SLR Oui quand elle l’a retrouvé en France. C’est beau cette idée qu’il est possible de garder en mémoire un bon souvenir ou non à travers une odeur. Quand tu sens la fleur d’oranger par exemple, qu’on asperge sur les invitées pour leur souhaiter la bienvenue.

PP Au Vietnam, il y a un fruit qui s’appelle le durian et qui pue. Il est souvent interdit dans les transports. Quand tu le manges, il n’a pas le goût de l’odeur. D’habitude c’est un signe de danger qu’un aliment ait une mauvaise odeur. Cela va déterminer si tu vas le manger ou pas, et ce fruit renverse cet instinct naturel. Après l’avoir goûté, il n’est pas si mal. Il y a aussi quelque chose de culturel dans l’odeur, si on prend l’exemple du fromage en France.

SLR Oui je me souviens de l’odeur du camembert à la cantine.

PP Le camembert à la cantine est ultra pasteurisé, il n’a quasiment plus de goût.

SLR C’est vrai que le fromage pour moi au départ c’était difficile. Par exemple, le roquefort, encore aujourd’hui je ne peux pas.

MUSIQUE, POÉSIE ET MÉLANCOLIE

Le sentiment nostalgique : La tonalité et les thèmes dans la musique vietnamienne et égyptienne. Les relations amoureuses dans les chansons comme un symbole de moments perdus.

SLR On peut aussi parler de musique. Un jour au Mucem un monsieur se tenait droit face à la mer et dans sa main son téléphone passait un morceau d’ Oum Kalsoum. J’ai grandi avec sa voix, elle réveille des choses, une sorte de nostalgie, je ne sais pas pourquoi, mais qui est toujours présent et qu’on retrouve beaucoup dans la musique arabe. Ça me touche beaucoup.

PP De quoi elles parlent ces chansons ? Est-ce qu’il y a des sujets qui reviennent ?

SLR La musique arabe c’est beaucoup l’amour.

PP Est-ce que ce sont des chansons qui parlent d’amours perdus ? Parce qu’au Vietnam, les chansons d’amour sont souvent des histoires tristes qui peuvent être une métaphore du pays que l’on a perdu. On m’a dit que c’était dû aux contrôles et au gouvernement vietnamien qui applique la censure.

SLR Oui, il y a toujours un sentiment de nostalgie, de manque que l’on a besoin de retrouver mais on ne sait pas ce qu’on veut retrouver ou si on veut le retrouver. En tout cas on est toujours en train d’y penser, toujours en train de créer à partir de ça. Dans la poésie de Mahmoud Darwish qui était un poète palestinien, c’est souvent ce dont il parle : un monde perdu, des odeurs perdus, un arbre perdu. On sent qu’il a envie de retrouver cet arbre, cette odeur d’oliviers, d’orangers, du vin avec son amoureuse.

PP Une de mes œuvres qui s’appelle « Karaoké » est une vidéo sans image et sans son. C’est un texte sur ce que le bouddhisme inculque, sur le déplacement, le détachement qu’il peut y avoir entre les êtres. Sur ce qui traverse les humains, ce qu’il faut laisser circuler, se détacher. La première version que j’avais faite de cette œuvre était une capture vidéo de la télévision de mon oncle et ma tante aux États Unis. Ils chantaient une chanson traduite en français approximatif avec des paroles incroyables qui parlaient d’amours perdus. Dans la musique vietnamienne, il y a aussi un côté mélancolique. La langue vietnamienne a des intonations de hauts et de bas, non pas comme des plaintes mais presque des pleurs. Il y a quelque chose de très triste dans ces chansons, même sans les comprendre.

SLR C’est la même chose chez Oum Kalsoum, tu as l’impression de pleurs, de pleurs de manque, mais pour les gens qui l’écoutent, ces pleurs deviennent réconfort. C’est intéressant parce que c’est propre à quelques pays j’ai l’impression, ce n’est pas partout. Est-ce que c’est l’amour d’une personne, d’un pays ? Je pense que c’est l’amour du pays, parce que cette personne elle te rappelle un pays, un espace propre.

PP Quand tu évoques un espace qui renvoie à un pays, ça me fait penser à la pièce que cet oncle et tante réservent à la médiation au sein même de leur maison californienne. Elle est entièrement dédiée à l’autel des ancêtres et à la méditation. Il y a plein d’objets agencés avec précision. Il y a un poste à musique, juste deux coussins pour s’asseoir en tailleur et ne pas se faire mal aux jambes. Des portraits sont encadrés, des boîtes de biscuits tiennent en équilibre comme une pyramide, un pot en métal collecte des bâtons d’encens consumés.

SLR Je connais un objet similaire, mais en pierre. C’est typique et toutes les familles passent ça le vendredi dans la maison pour purifier l’air parce que c’est le jour saint des musulmans. Aujourd’hui avec la globalisation tu le trouves avec une prise. Le poste à musique diffuse quoi ?

PP Des chants, des mantras mais pas tout le temps, seulement quand tu vas méditer. Sinon au Vietnam, il y a des versions d’autel miniatures partout. Ce qui m’a marqué c’est surtout ceux dans les restaurants, dans tous les magasins. Il sont en bois sculpté avec un ou plusieurs Bouddha, avec des décorations, des lumières fluo qui clignotent. Ce pot pour l’encens peut être n’importe quoi en métal. Ça peut être une canette de coca ouverte par exemple, mais la particularité est que la cendre est toujours laissée comme ça, jusqu’à ce qu’elle tombe d’elle-même par un autre encens. Il y a des petits verres en porcelaine avec des grains de riz cuits dans la céramique qui donnent une transparence. Dans ces verres ont met de l’alcool, il me semble qu’ils sont toujours par trois. J’ai d’ailleurs envie de mener un projet sur le riz en Camargue et le rôle des indochinois dans la riziculture française.

ESPACE DOMESTIQUE, INTIMITÉ

Agencement des espaces domestiques, la relation des membres d’une famille par rapport à ces espaces. La proximité comme lien.

PP Si on creuse un peu plus sur la question des espaces familiers, je repense à l’organisation de la maison de famille aux Etats-Unis. Dans la maison de mon grand-oncle, toutes les générations se rencontrent, les enfants peuvent dormir dans des pièces réaménagées considérées comme des placards. Les questions d’intimité y sont forcément particulières. Au Vietnam, l’architecture est vraiment différente comparée à celle en Californie et pourtant, les modes de vie sont similaires. Les parents peuvent dormir dans une chambre sans porte, avec leurs enfants, avec une vue sur la chambre d’en face où dorment les grands-parents. Cela m’a fait me questionner sur nos habitudes ici, nos modes de vie, sur la relation à l’autre et à la famille. J’ai aussi remarqué qu’au Vietnam, la plupart du temps, le salon est au rez de chaussée, derrière la porte de garage qui fait office de porte. Pour la majorité, les maisons ont un accès sur la rue et en tant que passant, on a vue sur le salon des gens. On y voit les meubles, s’il y a une grande télévision, si leurs meubles sont en bois, décorés ou non. C’est une autre manière de voir. Il n’y a rien à cacher, une simplicité évidente, et ça évoque aussi la relation fusionnelle entre les membres d’une famille où les grands-parents sont au cœur et les plus jeunes vivent et travaillent pour la famille. Cela change aujourd’hui avec les immeubles qui poussent un peu partout. J’ai visité une ville du futur constituée de dizaines d’immeubles ultra modernes construits sur des terres réquisitionnées par l’État proche de Hanoi. Il n’y a plus besoin de sortir de son immeuble, les commerces et écoles sont logés en sous-sol. C’est ultra sécurisé et assez terrifiant.

SLR Nous au Maroc c’est des bâtiments fermés. Chacun à sa maison, qui est une maison de ville, plate, pas vraiment d’ornementations, juste du crépis sur le bas des murs extérieurs. Il y a aussi ce truc de tout ce qui a à montrer, ça se passe dans le salon. Il y a très peu de choses dans les chambres, qui sont faites pour dormir. Du coup, les portes des maisons sont tout le temps ouvertes, tu peux arriver à n’importe quel moment, tu peux arriver, rentrer, toquer, sans forcément attendre qu’on te dise d’entrer. Tout ce que tu as à voir est dans le salon. Après je sais qu’en France, dans ma famille on habitait tous dans le même bâtiment, ma mère et moi étions au 4ème, une tante au 3ème, une autre au 2ème, et avant il y avait une tante au 9ème. Et on était à 50 mètres du bâtiment de ma grand-mère. Et il y en a qui ont essayé de vivre dans le même bâtiment que ma grand-mère mais elle les a forcés à bouger un peu parce que ça faisait trop. Il y a ce truc d’être ensemble, et quand tu me dis qu’il n’y a rien à cacher, ça me fait penser à comment ma famille a géré sa psychologie et ses maux. C’est un truc que je n’ai pas du tout retrouvé dans les personnes en arrivant aux Beaux-arts où vraiment tout le monde se dit tout, même dans le bâtiment ou dans le quartier, les femmes sont psychologues les unes des autres, sans vraiment débloquer les situations ou en tout cas pas de manière pérenne, mais sur des courts termes ça débloque des trucs. Tout le monde en fait se raconte les problèmes, il n’y a vraiment aucun filtre, il n’y a personne qui prend mal quoi que ce soit. C’est pour ça que mes relations sont ici parfois difficiles, je partage toute mon intimité et les gens ne sont pas forcément prêts. Je voyais la voisine de ma grand-mère elle descendait, elle racontait tous ses problèmes. Il y a ce rapport à l’écoute sans forcément avoir de rapports intéressés ou se sentir obligé de faire quelque chose de ce qu’on nous dit parce que des fois je crois que les gens avaient juste besoin d’une oreille, pas forcément attendre de super solutions mais seulement dire les choses, que ça sorte, on sentait vraiment que de chaque verre de thé passé ensemble, ou chaque goûter, ou chaque balade, les gens en ressortaient un peu mieux. Par exemple, les amies de ma grand-mère repartaient chez elles plus détendues. Ce truc de rien cacher de l’intimité, parce qu’en même temps il n’y a rien de fou à cacher, ça me choquait et m’excitait quand j’étais petit parce que je me disais « wow, c’est ça la vie ». Cela fait une grosse rupture du coup, et c’est pour ça que je parle de mon déplacement d’Arles à Marseille comme un micro exil, dans le sens où j’arrive dans un autre espace, il y a d’autres codes, surtout aux Beaux-Arts où ce n’est pas du tout mon univers à la base, assez rapidement je me suis senti désorienté.

PP C’est drôle, j’ai aussi tendance à trop partager mes histoires personnelles. J’ai l’impression que cela peut ouvrir la conversation à quelque chose de plus riche, de plus constructif et en même temps cela signifie aussi de se mettre en danger vis-à-vis de l’autre. Dans le projet « Appel Manqué » que j’ai mené à Toulouse, je cherchais à rencontrer des gens comme moi, qui ont des grands-parents ou parents vietnamiens. Je voulais comprendre ce qu’ils et elles ressentent par rapport à leur culture vietnamienne qui peut parfois remonter à plusieurs générations. A chaque nouvelle rencontre, je commençais par raconter mon histoire, comme si les personnes en face de moi pouvaient ensuite se sentir plus libres de faire de même. Certaines personnes ont été surprises parce que c’était la première fois que quelqu’un s’intéressait à cette partie de leur identité. J’ai aussi rencontré pas mal d’artistes par l’intermédiaire d’Instagram, en France ou ailleurs et qui ont les mêmes préoccupations que moi. C’est toujours intéressant de parler de nos histoires communes. En fait, on parle d’histoires qui n’intéresseraient pas forcément tout le monde, mais on s’en fout.

SLR Cela témoigne aussi de ce que tu es prêt à donner. Si dès le départ quelqu’un s’ouvre, et te laisse aller dans des strates qui ne sont pas en surface, ça te permet aussi d’envisager beaucoup plus de choses que juste du small talk, pas juste pour entretenir une discussion mais c’est parce que c’est quelque chose de social et non quelque chose dont tu as besoin, qui t’anime. Moi je sais que c’est le don, l’écoute. J’aime beaucoup donner, quand je raconte des histoires intimes, ce n’est pas juste quelque chose pour qu’on m’écoute, c’est aussi pour donner. Je pense qu’on apprend de nos histoires respectives, ça permet de mieux comprendre le monde. Quand je suis avec mon pote Hugo qui est d’origine vietnamienne, lui n’en parle pas du tout de ses origines. A l’école il n’y a pas la place pour ça, la « fragilité blanche » dirige souvent ces sujets dans un déni, un désintéressement, un sentiment de culpabilité qui se traduit par une impossibilité de construire autour de ce genre de discussion. J’essaie de discuter avec lui, il m’en parle, avec les autres il n’y arrive pas. Moi je lui ai dit que c’était très important. Pareil pour Jolan, un pote qui est en partie arménien. Il commençait à s’intéresser à l’histoire arménienne. Et je trouve ça important de tisser des liens avec des personnes, je crois que c’est ça, c’est des gens qui ont tissé ces liens qui m’ont permis aussi de pouvoir partager ces histoires aujourd’hui et de me sentir légitime avec certaines personnes.

PP Je crois que c’est aussi la façon dont les histoires sont racontées qui compte et comment l’autre peut se sentir inclus. Surtout lorsqu’il s’agit de personnes qui ne sont pas directement concernées. Mais de manière générale, je pense que l’on est une génération où il y a tellement d’individus qui ont envie de remonter sur leurs histoires issues des diasporas et de se reconstruire, qu’il est facile de trouver des personnes intéressées et intéressantes. Nos discussions, c’est un moyen contemporain de transmettre des histoires orales. On essaie de déconstruire des histoires, d’analyser ce qu’on peut avoir en commun, puis de reconstruire. Tellement d’histoires d’exil sont des schémas qui se répètent, on a obligatoirement des idées qui se croisent. Au lieu de rester séparés, on fait grandir nos histoires ensemble.

SLR C’est une façon de disséminer les histoires, je le fais dans le désir de partager même si tout le monde ne va pas m’écouter, certains vont garder une partie de mon histoire quelque part et si un jour il faut témoigner d’une histoire dans mon cas de l’histoire de diaspora maghrebine, elles seront peut être là pour raconter faire revivre des paroles que j’aurais pu leur partager. Au final il y a très peu de personnes qui se le permettent, quand tu as fait le travail et qu’il y a quelque chose à partager je pense qu’il faut le faire parce que dans tous les cas ça impacte les gens d’une manière ou d’une autre. Je le vois avec des gens qui n’écoutent pas mais deux ans après viennent me voir, me disent qu’ils ont vu un documentaire sur James Baldwin, sur le racisme dans les jeux vidéos, la fétichisation. Cela a du coup légitimé mes propos : en attendant ils ont fait leur recherche, ça leur a fait repenser à ce dont on avait discuté et ça a rendu les choses plus réelles avec le temps. Même si ce ne sont que des bribes.

PP Peut-être qu’il y aura une prise de conscience, que des questions seront posées et transmises à un frère, un cousin, une sœur, un ami. Ce qui m’a fait vraiment plaisir avec l’exposition de « Hang Up » pour Photo Hanoi et malgré la censure culturelle, c’est que j’ai eu beaucoup de retours de jeunes via les réseaux sociaux. Les quelques images qui ont pu rester au mur ont été prises en photo et repartagées même si je n’avais pas dit le fond du sujet : la jeunesse, la liberté. Je crois que le message est passé.

SLR Quand tu parlais de ta légitimité, c’est cool de voir que des gens arrivent à s’identifier à ton travail et quelque part ça les représente quand même un peu que ce soit dans l’esthétique ou dans le sujet, ça les touche. Je pense que c’est facile d’aller faire des travaux sur nos origines un peu partout mais arriver à toucher les personnes qui sont dans le pays même, les gens qui vivent ces questions c’est le maximum qu’on puisse attendre.

PP Est-ce que quand tu vas enregistrer les sons dans ton prochain projet, tu vas prendre les contacts pour poursuivre la discussion et inviter les participants à la restitution ?

SLR Oui je pense, je suis déjà en train d’y réfléchir car la résidence propose la galerie Delacroix comme seul lieu de restitution, à Tanger, qui appartient à l’Institut français, je vais essayer de faire le truc en dehors de la galerie et dans la galerie mais quand même une installation dans la médina, ou la nuit sur une place. Mais l’idée est quand même de le partager avec des gens avec qui je l’ai fait, des gens de la ville, pas juste avec l’Institut français. L’idée est aussi de questionner le fait que je suis français d’origine marocaine qui obtient une résidence à l’Institut Français à Tanger c’est déjà un mic-mac assez compliqué. Je ne suis pas considéré en tant que français en France, mais en même temps quand je suis au Maroc je ne suis pas marocain. Et en même temps j’y suis accueilli par des français. Je ne peux pas juste aller faire quelque chose de tout lisse, c’est pour ça que je pensais au son, à quelque chose de fictionnel qui nous permet un peu de s’évader et en même temps ponctué de voix qui viennent ramener à la réalité, au contexte de la ville, ce que les gens vivent réellement et que ça reste dans l’idée du collage toujours. Il y a aussi le projet de film que je fais sur les plantes qu’on aurait déplacé et du coup considérer leurs histoires, leur donner une parole. On a tous des plantes tropicales qui viennent d’ailleurs. La bourrache, c’est une petite fleur bleue comestible, on les trouve dans les restos chics, dans les salades. En fait, c’est une fleur qui vient de Syrie à la base. Je ne suis pas encore allé chercher l’histoire, mais il faudrait que je fasse un dîner décolonial avec des aliments qui viennent d’ailleurs sans le savoir. La bourrache avec son nom français, tu oublie l’histoire, comme les figuiers de barbarie qu’on retrouve sur les bords de mer à Marseille qui viennent du Mexique et qu’on trouve aussi en Palestine. Dans chaque endroit, ils évoquent des choses différentes. En Palestine c’est un endroit où il y eu des Palestiniens qui vivaient, donc c’est une sorte de mémoire, de monument commémoratif. Il faut que j’aille en Palestine pour ma grand-mère pour faire une prière pour elle, en pèlerinage. Et pour faire des photos des cactus, toutes simples ça peut être trop beau, et ne pas interroger les gens. Penser à l’exil des plantes et comment tout ce qui nous entoure, que ce soit comestible ou pas, ce sont des choses qui viennent d’ailleurs, comme dans nos assiettes en fait.

PP Il y a peu de sensibilisation sur le rôle des plantes et ce qu’elles symbolisent pour les communautés ici. Quand tu vas au marché aux plantes, plus de la moitié sont des plantes qui ne sont pas censées être là.

SLR Oui il y a très peu de plantes qui poussent en France, il y a l’olivier. Je ne connais pas assez pour dire. Mais il y a beaucoup de plantes tropicales.

PP Au sud, il y a beaucoup de plantes sèches de type maquis, pas vraiment luxuriantes.

SLR Oui, les arbustes secs, les grands arbustes aromatiques, le thym, le romarin. On a plein de fleurs, de plantes mais les esthétiques ne nous intéressent pas ou moins. On a tellement été façonné par l’exotisme. »

"It’s been a few years since we met on Instagram. We followed each other’s artistic practices from afar, through the screens of our phones. In 2020, we ended up, by chance, in residence at the Friche Belle de Mai, where we shared a space for a few months. We often talked about borrowed images, the organization of our societies, or the role of food in understanding our origins. In this text about our exiles and migrations, we reproduced what we know how to do: drink tea and talk. But this time, we recorded it.

IMAGE COLLECTION

How each of us gathers images that will shape our research. What role do existing images, found images, play in the construction of our imaginaries, and how can we reclaim our cultures? At what point do we have to produce the missing images?

Samir Laghouati-Rashwan (SLR) In my personal space, I collect a lot of images. Family photos—my own and those of others that I find. There are also images of colonizers, French soldiers in Morocco or more broadly in Africa.

Prune Phi (PP) It’s like you’re keeping an eye on your enemies ...

SLR Exactly, not forgetting them, living with those histories—whether through personal images or ones that belong to others. When I was at art school, it was important to surround myself with these elements, because the environment is very elitist and bourgeois, and its relationship to the world and to history is somewhat superficial. You arrive there with no anchor, you don’t know the people, the spaces, let alone the codes—which makes it hard to stay long without adapting completely to that world. The only images of Egypt I saw were ones found at the dump, from a French family on vacation there. You can’t really tell who they are, what their class is—you just see a woman who keeps reappearing: on a camel, leaning against a pillar, next to a pyramid. I also have pictures of people vacationing in Greece, and swaddled babies—also found in dumps. It lets me see so many things while standing still. I see Egypt, my country, through a family I don’t know. I’m not sure what that means, but it’s something—being deprived of a part of yourself. I gather images that build a big picture. You create yours.

PP Yes, I collect images—some I’ve taken, others I haven’t. The first images I had of Vietnam were the ones in my grandfather’s restaurant in Carcassonne. Inside, there were lacquer paintings of landscapes. There were patterns on the chairs and painted bamboo on the plates. A few album covers of Vietnamese singers and musicians sat on a shelf at the back of the main room. I think I didn’t have access to that many images of Vietnam. My grandfather loved telling ghost stories that had scared him as a child. He was convinced that when he walked to school, he could hear ghosts in the bamboo along the road, and it terrified him. So these were mental images—images I imagined. They were my first encounters with Vietnam. That probably influenced my visual practice related to images. The need to question missing representations probably comes from there. I had to rebuild an imaginary world by producing my own visuals, by borrowing from the internet or from magazines.

JOURNEYS, RETURN, AND DECENTERING

Why return to the countries of our ancestors and seek a place there? It seems necessary to question the power dynamics that our presence brings to these countries with colonial histories. Does it make sense to stay, to work there, or should we go back? The influence of Western countries, still seen as models for education, and the issue of whether international students should return to their countries are also part of these dynamics concerning descendants of diasporas.

PP Have you ever been to Egypt?

SLR I’ve been three times, but it felt strange. I don’t have much of a relationship with my father. Usually, I stay in Beni Suef, where my father has a house. I took a bus to Cairo only once. It’s a very crowded city, without urban planning, due to the pressing need for housing. In truth, I don’t know Egypt very well. I remember when I was a kid, I bought a photo compilation, and I still have it in my room. It’s pictures of English explorers discovering ruins, with Egyptian workers led by British men in colonial hats. I know Morocco much better—or at least it feels that way. There’s the journey to Morocco, which was the biggest part of the trip when we drove there. Once in Morocco, we stayed in the same town—we didn’t travel. Except for a wedding of an aunt in Casablanca.

PP You saw Morocco through a car window?

SLR Yes.

PP In what you say about collected images, I feel the omnipresence of the white figure: the family, the colonizers, the soldiers. It’s interesting that you highlight them in order not to forget.

SLR Since I’m still trying to understand all this, I like to have them around—to form a kind of diagram that weaves connections between stories. These stories act as memory, a memory made of family photos, images of soldiers in various French colonies, pictures taken from history books and magazines.

PP It’s as if you’re analyzing the actors, as if the image were a way of knowing, bringing data about history—even if these are vernacular photos, family album images with no informational or artistic intent. I’m thinking especially of vacation pictures.

SLR Yes, exactly—mapping out an itinerary of people’s activities when they travel to Egypt and Morocco, in my case.

PP Yes, it inevitably speaks of journeys, of movement—of who goes where. It’s about migration.

SLR It reminds me of a way of maintaining my own memory. I’ve always collected images, and depending on the age, they don’t have the same meaning or preoccupations.

PP It also makes me think about going back to a country where we weren’t born. What drives us to go? I always question the legitimacy of that “return,” of speaking about these topics—because, for me, it goes far back. My Vietnamese identity comes from my paternal grandfather. And yet, if we don’t take interest in our own stories—even if they’re distant—parts of history will vanish. Vietnamese people who lived through the trauma directly are often silent about their experiences, which is understandable. But there’s a paradox, because the Indochina War and then the Vietnam War were among the most visually documented in history. There’s no shortage of representations. And yet, silence within families is very common. Most young descendants only hold fragments of their family’s history. If they seek to understand their ancestors’ stories, they often go about it through other means. Some invest in Vietnamese student associations to rebuild what they’re missing in their own way: theatricalized stories for Tết (Lunar New Year), reinterpretations of traditions like fan dancing, etc. I met some of these young students during my projects. One meeting in particular comes to mind—in Vietnam, with a woman who had studied abroad, whose father supported Vietnam’s liberation in 1975. Today, he tells his daughter that he imagines an alternative version of history—if the Americans had stayed. The country might be different—maybe better than it is now. Maybe they’d have more freedoms. I think many people are critical of what’s happening socially and politically in Vietnam. It’s a country that models its economy and society on China. It’s simultaneously undergoing hyper-modernization and opening up economically, while being politically complex due to its communist legacy. This woman, who returned to Vietnam after studying in Australia, feels somehow indebted. Even though it’s a difficult country, if this generation leaves, then who stays? Who does the work? Other students who moved to England said the same thing.

SLR It’s the same thing for many Africans who studied in Europe, who were born in Africa and go back thinking there’s a lot to be done on the continent—it’s a way to decentralize Europe.

PP I also feel that our generation doesn’t want to limit itself to Europe to create or think. Europe is no longer the center of the world. There are shifts, things are being built, and possibilities arise elsewhere. Returning is a way of reclaiming our histories, of saying we can do it elsewhere than in the countries of the diasporas. And at the same time, for me, it’s hard to go to Vietnam and speak on certain topics. I ask myself: why me? Others might be more legitimate. I try to look at it differently—I didn’t grow up there, but I still carry part of the story. I carry with me, despite myself, through my body and my memories, a fragment of Vietnam.

SLR Yes, your life isn’t the same, nor exactly your culture, but your body carries the imprint of those who grew up there—if only through the gaze cast upon you, your community in France, and the Vietnamese people there. Because we say that the colonial gaze didn’t die with independence.

IN THE SUITCASES

What people carry with them when they leave for Europe: the objects of exile. What they bring back when returning home: raw materials.

PP The body inevitably carries the marks of those who came before you. You bring all of that with you, whether you want to or not: skin color, almond-shaped eyes, hair texture, teeth, the shape of your ears. Once, I went to a dermatological research center looking for participants to test new products. The dermatologist looked at my arm and classified me as "mixed-race" just based on my skin tone and body hair. I think that was the first time someone scientifically identified that I had Asian ancestry, since it's not necessarily visible in my face. In the end, we are the sum of all these little details that we both keep and lose over generations of mixing. It also reminds me of the image of a suitcase: what we leave behind, what we choose to take with us.

SLR Yes, for the North African diaspora I feel like the carpet is a very present object, with its motifs representing pools and gardens, echoing Maghrebian architecture.

PP With Vietnam, I rather think of the box. People pack their belongings in cardboard boxes and send them in the hold when flying between Europe and Asia. The sound pieces I created with Tal Yaron, which are part of my project “Otherworld Communication,” reflect this. They’re made from cardboard collected from Asian supermarkets in France—boxes from imported products. It's a way to consider the history of second and third generation immigrants through the food their ancestors cooked. It's also a way to question the cultural appropriation related to those goods, in transit and used all over Europe. You can never really replicate the original taste, but you can get close with what’s available in specialty stores. Sometimes, you have to substitute an ingredient or two to complete the recipe. In Asian restaurants here, recipes are often adapted to Western tastes. Some dishes aren’t offered at all because they wouldn’t appeal to European palates. I think of boiled chicken feet, or dishes made from cartilage, which are very popular in Vietnam. Coming back to those sound pieces made from the cardboard packaging of food products, what interests me is transforming their form while keeping the traces of their journey. The boxes are stamped with the countries they’ve passed through—just like suitcases. Tal and I deconstruct them, then assemble them together to become ambiguous and hybrid meta-forms. In a way, that evokes colonial history.

SLR In Morocco it’s similar, but the boxes are sent by truck. You pay by the kilo and the transporter brings everything to your doorstep—it’s usually someone from the neighborhood you trust. So they carry anything and everything: food, fabric, sugar, electronics. What stays in our suitcases when we return to France are fabrics and oils (Olive, Argan).

PP Movement goes both ways.

SLR Yes. I think it's also a responsible gesture on your part to consider that history. Vietnamese people born there and living there have their own history, even if not everyone experienced the war, for instance. Maybe it’s just you—because it’s part of who you are—taking your story with both hands and facing it. Like you said, I’m missing stories, so I collect images to fill in the blanks, while you go there and, from small stories, build your own images. Do you take a lot of photos?

PP I collect a lot, both from archives and pop culture, as well as in the ways of making images. I actually use very little in the end, and I always go through a process of transforming these images. I’m never satisfied with a photo as it is. A fragment might catch my attention, and then the image gets printed, torn, assembled with other images. I think all of that is part of this deconstruction/reconstruction of tiny fragments of history that are shared with me sparingly and that, once pieced together, form something else—my own version of the story.

SLR They’re only fragments. Maybe it’s a humble way of sharing this work once you’re back in France: the images you took in another country. You’re giving something of the essence, but not the whole—because it would be impossible anyway. When you raise the question of legitimacy, it makes sense. And fragments are your way of showing this history in France, your origins, without presenting documentary-style images that would make us feel like we understand the culture in question just because we saw an exhibition of your work.

PP When you say I grew up with this culture, it’s because my grandfather owned a Vietnamese restaurant where I also grew up. I remember so many things, even though I was really little when the restaurant closed: the colors, the smells, the music, the people working in the kitchen. I see myself running around in the restaurant, sticking my arms deep into the rice sack, making spring rolls with my grandfather. I remember he tried to teach me Vietnamese words at the same time—my grandmother too. Our identities are also shaped through food.

GENDER ROLES AND TRANSMISSION

Who manages the kitchen, depending on the culture? For Samir, his grandmother’s role in sharing culinary knowledge and the central place of women in his upbringing. For Prune, the role of her grandfather and his restaurant in building her Vietnamese identity. Hierarchies at the table.

SLR Memory through food—I’m currently working on “Decolonial Food,” a culinary project where I share my research on the trajectory of ingredients and the evolution of certain recipes during dinners. It was on the women’s side that I discovered cooking. From a young age, I would help my grandmother prepare Moroccan dishes. I felt much more connected to my roots through my aunts and the women in my family than with the men. Women—they dance, they have a unique identity. With men, it’s more generic: they all have the same hobbies—cars, football, the next car they’re going to buy.

PP Whereas in my family, cooking was always a men’s affair—on both my mother’s and father’s side.

SLR And in Vietnam, how is it in families?

PP I can only speak from what I know of my Vietnamese family in the U.S., whom I met during the “Long Distance Call” project in 2017. Part of that family is very patriarchal, especially the older generation. For example, the most recently arrived woman in the family is the one who cooks for everyone and then cleans everything. I had to contact the eldest brother in the family to prepare my visit. At the table, you had to wait for the oldest man to eat first. I realized I hadn’t met all my aunts, whereas I could name all the men and recognize them.

SLR It’s the same in Morocco—you can name all the men in a family.

PP I shared much more with the men in the family, maybe precisely because men have a more prominent presence. But it’s no longer the same for our generation.

SLR In my family, it was my grandmother who cooked everything and ate after everyone else. But she was the boss. Maybe it’s because she was the oldest, putting everything else before herself.

THE SMELL OF OUR PLATES

Exploring memory through food and its smells, keeping memory alive. The kitchen as a space of remembrance and transmission. Smell and genetic memory. Smell and cultural adaptation.

SLR What we’re shown isn’t necessarily history in a direct way, and that’s exactly why you dig into food to talk about deeper things. In the end, we know these countries more through that lens—me, for example, I got to know Morocco through dishes before even knowing Morocco itself, if I can say I know it at all. And it’s also about stories through smells. I think I told you this: when my grandma died, I cooked with a friend who’s a chef, and he started chopping an herb—I forget the name—and when he invited me over one night, I walked into the kitchen, he was cutting that herb and it made me cry. It instantly brought back my grandma. But it wasn’t a French memory. It took me straight back to her heart, to her exile. That’s when I realized how powerful cooking is. And at the same time, I went through a phase where I couldn’t eat Moroccan food anymore because no one could make the dishes the way she did. So I started cooking them myself, trying to recreate that.

PP Did you succeed?

SLR No, or not with every dish.

PP My favorite dish that my grandfather made was caramel pork, and of course when he passed, the taste vanished too. I often order that dish at restaurants hoping one day I’ll find the same flavor. And then one day, a friend went to see his mom and she showed him the recipe. He wanted to make it for me, even though I wasn’t convinced—and guess what, it tasted exactly like my grandfather’s. It was wild.

SLR That brings up so many memories.

PP It brings something back to life. Smell, taste, they transport you to a place, to a moment—sometimes even beyond. Like when you talk about seeing your grandmother again and eating her dishes—it goes further than just memory, it’s like you’re ingesting part of her story. Maybe my grandfather put caramel pork on the menu because he ate it in Vietnam as a kid. When I worked with neuroscientists for the “Appel Manqué” project, we talked about how smells can be passed down through generations. Like, if you hate eggplant, maybe someone in your family had a bad experience with it, got sick, and it affected them so deeply that it got passed down in the genes. Smell is such an important part of our research, especially when it connects us to experiences our ancestors lived through, like the smell of that herb that brings you back to your grandma. The emotion you felt wasn’t just yours—it was also something unexperienced, something she lived. Maybe that smell connects you to what she felt when she ate that herb once in her life.

SLR Yeah, when she found it again in France. That idea—that you can hold on to a memory, good or bad, through a smell—is beautiful. Like orange blossom water that you sprinkle on guests to welcome them.

PP In Vietnam, there’s a fruit called durian and it stinks. It’s often banned on public transport. But when you eat it, it doesn’t taste like the smell. Usually, when something smells bad, it’s a warning not to eat it. This fruit flips that instinct. After tasting it, it’s actually not so bad. There’s also a cultural side to smell—like with cheese in France.

SLR Yeah, I remember the smell of camembert at school lunch.

PP The camembert at school is super pasteurized, it barely has any flavor left.

SLR That’s true—cheese was tough for me at first. Roquefort, for example, I still can’t do it.

MUSIC, POETRY AND MELANCHOLY

A nostalgic feeling: the tone and themes in Vietnamese and Egyptian music. Love songs as symbols of lost moments.

SLR We can also talk about music. One day at the Mucem, a man was standing tall facing the sea, and his phone was playing a song by Oum Kalthoum. I grew up with her voice. It stirs something in me, this kind of nostalgia I can’t really explain, but it’s always there—you find it a lot in Arabic music. It touches me deeply.

PP What do those songs talk about? Are there recurring themes?

SLR Arabic music is all about love.

PP Is it about lost love? Because in Vietnam, love songs are often sad stories that can be metaphors for a lost country. I’ve been told that’s partly because of censorship and government control in Vietnam.

SLR Yeah, there’s always a sense of nostalgia, of longing—like you’re trying to find something but you’re not sure what or if you even want to. But it’s always on your mind, and it fuels your creativity. That’s what Mahmoud Darwish, the Palestinian poet, often wrote about: a lost world, lost smells, a lost tree. You can feel his longing to find that tree again, the smell of olive trees, of orange blossoms, of wine shared with his lover.

PP One of my pieces, “Karaoké”, is a video with no image or sound. It’s a text about what Buddhism teaches—about movement, detachment between beings, the things that pass through us and need to keep flowing. The first version was a screen recording of my uncle and aunt’s TV in the US. They were singing a song, roughly translated into French, with incredible lyrics about lost love. Vietnamese music is also very melancholic. The language itself goes up and down, like not quite crying, but almost—there’s so much sadness in those songs, even if you don’t understand the words.

SLR It’s the same with Oum Kalthoum—it's like crying, crying out of longing—but for the people listening, those cries are comforting. It’s interesting because I feel like that’s something you only find in certain countries, not everywhere. Is it about a person? Or about a country? I think it’s love for a country—because that person reminds you of a country, a very specific space.

PP When you talk about a space that evokes a country, it makes me think of the room my uncle and aunt dedicated to meditation in their Californian house. It’s entirely arranged around the ancestral altar and meditation. Everything is placed very precisely. There’s a speaker, just two cushions to sit cross-legged without hurting your legs. Framed portraits, biscuit tins stacked like a pyramid, a metal pot to collect burnt incense sticks.

SLR I know a similar object made of stone. It’s typical—families use it on Fridays to purify the air because it’s the Muslim holy day. Nowadays with globalization, you can find them with a plug. What does the speaker play?

PP Chants, mantras—but only during meditation. In Vietnam, you find miniature altars everywhere. What struck me the most were the ones in restaurants or shops. They're carved from wood, with one or more Buddhas, decorations, blinking neon lights. The incense pot can be anything metal—an opened Coke can, for example—but the ash is always left there until another incense stick pushes it over. There are little porcelain cups with grains of rice fired into the ceramic, making them translucent. They’re filled with alcohol, usually in threes. I actually want to do a project on rice in the Camargue and the role of Indochinese workers in French rice farming.

DOMESTIC SPACE, INTIMACY

How domestic spaces are arranged, the way family members relate to these spaces. Closeness as a form of connection.

PP If we dig deeper into familiar spaces, I think about the way my family’s house in the US is organized. In my great-uncle’s house, all generations gather—kids can sleep in repurposed rooms that are basically closets. So the idea of intimacy is definitely different. In Vietnam, the architecture is very different from California’s, but the way people live is quite similar. Parents might sleep in a doorless room, with their kids, overlooking another room where the grandparents sleep. It made me question how we live here, our habits, our relationships to others and to family. I also noticed that in Vietnam, most living rooms are on the ground floor, behind the garage door which acts as the front door. Most houses open onto the street, so as a passerby, you can see right into people’s living rooms. You see the furniture, the big TV if there is one, whether their furniture is wooden, decorated or not. It’s another way of seeing things. There’s nothing to hide, a kind of obvious simplicity, and it also reflects how close families are—grandparents at the center, younger ones living and working for the family. That’s changing now with all the new buildings popping up. I visited a “future city” made up of ultra-modern towers built on land taken by the government near Hanoi. You don’t even need to leave your building—there are shops and schools in the basement. It’s super secure and kind of terrifying.

SLR In Morocco, we have closed buildings. Everyone has their own house, usually a flat-roofed townhouse, not many decorations, just plaster on the lower part of the outside walls. And everything you want to show, it happens in the living room. There’s almost nothing in the bedrooms—they’re just for sleeping. So the doors are always open, you can show up anytime, knock and walk in without waiting. Everything you need to see is in the living room. In France, my whole family lived in the same building—my mom and I were on the 4th floor, an aunt on the 3rd, another on the 2nd, and before that, one on the 9th. And we were just 50 meters from my grandma’s building. Some tried living in the same building as her but she made them move because it was too much. There’s this thing about being together. And when you said there’s nothing to hide, it made me think of how my family dealt with their mental health and emotional pain. That’s something I didn’t find at all when I got to art school—where everyone tells everyone everything. In our neighborhood, the women were each other’s therapists—not necessarily solving anything long-term, but at least unblocking things temporarily. Everyone shared their problems, there were no filters, no one took offense. That’s why my relationships here are sometimes complicated—I share all my intimate stuff and people aren’t ready. I remember my grandma’s neighbor would come down and spill all her problems. There was this listening culture, without any expectation—people didn’t necessarily want solutions, they just needed an ear. You could feel that every glass of tea, every snack, every walk made people feel a bit better. My grandma’s friends would leave more relaxed. This idea of hiding nothing—it shocked and thrilled me as a kid. I thought, “wow, this is what life is.” So yeah, moving from Arles to Marseille felt like a micro-exile, arriving in a whole new space, different codes—especially at the Beaux-Arts, which wasn’t my world at all. I felt lost pretty quickly.

PP It’s funny, I also tend to overshare personal stuff. I feel like it opens up the conversation to something deeper, more constructive. But it also means putting yourself at risk in front of others. In the “Appel Manqué” project I did in Toulouse, I tried to meet people like me, with Vietnamese parents or grandparents. I wanted to understand how they feel about their Vietnamese heritage, even if it’s a few generations back. Every time, I started by telling my story, hoping it would help them feel free to share theirs. Some were surprised—it was the first time someone cared about that part of their identity. I also met a lot of artists on Instagram, in France and elsewhere, who care about the same things. It’s always interesting to talk about our shared stories. Honestly, we’re talking about stuff that might not interest everyone—but who cares.

SLR This also shows what you're willing to give. If someone opens up from the start and lets you go into layers that aren’t on the surface, it allows for way more than just small talk—not just keeping a conversation going, but because it’s something social, something that drives you. For me, it’s about giving, about listening. I love giving. When I share intimate stories, it’s not just so people will listen—it’s also a way to give. I think we learn from each other’s stories, it helps us understand the world better. Like, with my friend Hugo, who’s Vietnamese—he never talks about his background. At school, there’s no space for that. “White fragility” often shuts down these topics—denial, disinterest, guilt that turns into an inability to build any kind of conversation. I try to talk to him about it, and he opens up to me—but not to others. I told him it’s really important. Same with Jolan, a friend who’s partly Armenian. He was just starting to get interested in Armenian history. And I think it’s so important to build these kinds of connections with people. It’s thanks to people who created those links with me that I can share these stories today and feel legitimate doing so, with some people at least.

PP I think the way stories are told also matters—a lot. It’s about how you include others in the telling, especially when they’re not directly affected. But overall, I think we’re part of a generation where so many people want to reconnect with their histories, coming from different diasporas, and rebuild themselves. So it’s actually easy to find people who are interested, and interesting. These conversations of ours, they’re like a contemporary way of passing down oral stories. We try to break things down, analyze what we might have in common, then rebuild. So many stories of exile repeat the same patterns—we inevitably run into shared ideas. Instead of staying apart, we’re growing our stories together.

SLR It’s a way of spreading stories. I do it with the desire to share—even if not everyone listens, some people will hold on to a piece of my story, somewhere. And maybe, one day, if there’s a need to bear witness to a story—like in my case, the story of the Maghrebi diaspora—they’ll be there to bring those words back to life, the words I might’ve shared with them. In the end, there are very few people who allow themselves to do that. When you’ve done the work and you’ve got something to share, I think you have to—because one way or another, it touches people. I’ve seen it with people who didn’t listen at the time, but two years later came back to me, saying they’d seen a documentary on James Baldwin, on racism in video games, on fetishization. It kind of legitimized what I was saying—they’d done their research in the meantime, thought back to our conversations, and things became more real over time. Even if just in fragments.

PP Maybe it sparks some awareness, maybe questions get passed on to a brother, a cousin, a sister, a friend. What really made me happy with the “Hang Up” exhibition at Photo Hanoi—even with the cultural censorship—was that I got a lot of feedback from young people through social media. The few images that managed to stay on the walls were photographed and shared again, even though I hadn’t explained the deeper meaning—youth, freedom. I think the message still got through.

SLR When you were talking about your legitimacy, I think it’s really cool to see people identifying with your work—and in a way, it represents them too, whether it’s in the aesthetic or the subject, it touches them. I think it’s easy to go digging into our origins wherever they may be, but managing to reach people who are living those realities in the same country—that’s the most we can hope for.

PP When you go record sounds for your next project, are you planning to keep in touch with people to continue the conversation and invite them to the final presentation?

SLR Yeah, I think so. I’m already thinking about it because the residency offers the Delacroix gallery as the only official space for the presentation, in Tangier, and it belongs to the French Institute. I’m going to try to do something both inside and outside the gallery—like an installation in the medina, or something at night in a public square. But the idea is really to share it with the people I made it with, with locals—not just with the French Institute. I also want to raise the question of the fact that I’m a French person of Moroccan origin getting a residency from the French Institute in Tangier—that’s already a pretty messy situation. I’m not seen as French in France, but at the same time when I’m in Morocco, I’m not Moroccan either. And yet I’m being hosted by French people there. I can’t just go and make something polished. That’s why I’ve been thinking about sound—something fictional that lets us escape a bit, but also punctuated with voices that bring us back to reality, to the context of the city, to what people actually live. Still keeping that collage spirit. There’s also the film project I’m working on, about plants that have been displaced, and thinking about their stories, giving them a voice. We all have tropical plants around us that came from somewhere else. Borage, for instance—it’s this little edible blue flower, you see it in fancy restaurants, in salads. But actually, it originally comes from Syria. I haven’t gone into its story yet, but I’d like to organize a decolonial dinner with foods that came from elsewhere—without us even realizing it. Borage, with its French name, makes you forget its history. Like prickly pear cacti along the Marseille coastline—they come from Mexico and you also find them in Palestine. In each place, they mean different things. In Palestine, they mark areas where Palestinians used to live, so they’ve become a kind of memory, a commemorative monument. I need to go to Palestine, for my grandmother—to say a prayer for her, as a pilgrimage. And to take photos of the cacti—just simple photos, they could be really beautiful without necessarily prompting questions. Thinking about the exile of plants, and how everything around us, whether it’s edible or not, comes from elsewhere—just like what’s on our plates, actually.

PP There’s so little awareness here about the role of plants and what they symbolize for different communities. When you go to a plant market, more than half the plants there aren’t even supposed to be here.

SLR Yeah, there are very few plants that actually grow in France. There’s the olive tree... I don’t know enough to say for sure. But there are a lot of tropical plants.

PP In the South, it’s mostly dry, scrubby plants—not really lush vegetation.

SLR Yeah, the dry shrubs, the big aromatic ones—thyme, rosemary. We have loads of flowers and plants, but those aesthetics don’t really interest us—or less so. We’ve been so shaped by the exotic.